Thaïlande : les médecins surmenés par le système de santé gratuit, l’IA peut-elle aider ?

L’IA est appelé en renfort, car le système thaïlandais de santé gratuit surcharge ses médecins au point de tuer de jeunes médecins surmenés,

Le système thaïlandais de soins de santé gratuits et universels fait l’envie de nombreux pays de la région Asie-Pacifique, mais il surcharge le personnel et les médecins, et contraint les travailleurs médicaux à quitter le secteur.

Voir : Les hôpitaux de Thaïlande dépassés par la surpopulation

Les entrepreneurs se tournent donc vers la technologie pour trouver des solutions afin d’alléger la charge de travail pour le personnel médical.

Selon les entrepreneurs, les hôpitaux et les cliniques sont submergés de patients souffrant de maladies mineures qui pèsent lourdement sur un système médical public manquant de ressources.

Les raisons principales sont un triage insuffisant des maladies et un manque d’éducation sanitaire du public.

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux problèmes que connaît le système mal administré qui souffre de l’impact de l’instabilité politique du pays, affirment-ils.

Un certain nombre d’entrepreneurs utilisent des technologies basées sur l’intelligence artificielle pour résoudre la crise de la main-d’œuvre.

Parmi leurs solutions basées sur l’IA, on trouve la création d’un système de dépistage en ligne par des « médecins en ligne » et l’éducation à la santé.

La mort de deux médecins surmenés entraine la création d’un système basé sur l’IA

Navaporn Nalita, ancienne neurochirurgienne thaïlandaise, a été tellement bouleversée par la mort de deux collègues surchargés de travail qu’elle a quitté son emploi pour mettre au point un système basé sur l’IA que les hôpitaux pourraient utiliser pour automatiser le dépistage et le diagnostic.

Lors de la conférence Echelon X qui s’est tenue à Singapour les 15 et 16 mai, elle a présenté sa technologie, baptisée « Eidy », à des investisseurs.

Elle a raconté comment ses collègues, âgés d’une vingtaine d’années, sont morts dans des accidents de la route après avoir travaillé des centaines d’heures par mois sans interruption.

« C’étaient des gens très, très gentils.

Mais ils sont morts parce qu’ils ont travaillé deux jours consécutifs sans pause.

Et ils n’ont pas dormi du tout », a-t-elle déclaré.

« Je veux trouver une solution pour changer notre façon de travailler.

Les médecins ne devraient pas porter toute la responsabilité et le fardeau des problèmes de notre système de santé », a-t-elle déclaré.

« Nous pouvons faire mieux. »

Selon Mme Navaporn, il existe également des cas non signalés de suicide parmi les travailleurs de la santé surchargés en Thaïlande.

Les systèmes d’assurance maladie en Thaïlande

Les Thaïlandais sont couverts par trois régimes d’assurance maladie, dont le plus important, le régime de couverture universelle (UCS) financé par l’impôt, couvre environ 75 % de la population.

Auparavant, les Thaïlandais devaient payer un ticket modérateur de 30 bahts pour un rendez-vous chez le médecin, mais cette mesure a été supprimée en 2006.

Aujourd’hui, les rendez-vous chez le médecin, les services d’urgence et les examens effectués par des spécialistes très coûteux sont gratuits.

Même le changement de sexe est pris en compte par l’assurance maladie.

Voir : L’assurance-maladie de Thaïlande couvre les opérations de changement de sexe

Selon Paphonwit Chaiwatanodom, PDG d’Agnos Health, des problèmes sont apparus parce que des personnes ont profité des services médicaux gratuits.

« Il y a de nombreux cas où des personnes souffrant d’une fièvre généralisée se rendent aux urgences la nuit.

En Thaïlande, c’est très courant, car les soins de santé sont gratuits », a-t-il déclaré.

En outre, les médecins généralistes ne sont pas chargés de sélectionner les patients devant recevoir un traitement spécialisé.

Pourtant, les gens font la queue devant les portes des hôpitaux dès 5 heures du matin pour voir un médecin pendant cinq minutes ou pour obtenir des médicaments en vente libre, a déclaré M. Paphonwit.

Même un temps d’attente de cinq heures ne dissuaderait pas les gens de faire la queue, a-t-il ajouté.

Les médecins du secteur public travaillent souvent 120 heures par semaine, et nombre d’entre eux doivent voir jusqu’à 100 patients par jour, selon M. Paphonwit.

L’IA au secours des médecins

Ingénieur de formation, M. Paphonwit a mis au point une plateforme de dépistage de la santé basée sur l’IA, « Agnos », que les médecins des hôpitaux surchargés peuvent proposer à leurs patients.

La technologie aide les patients à comprendre leurs symptômes, fournit un diagnostic préliminaire et les oriente vers le bon service, qu’il s’agisse d’une pharmacie ou d’un hôpital.

Outre la lutte contre l’engorgement des hôpitaux, M. Paphonwit a déclaré que la plateforme pourrait contribuer à améliorer les connaissances médicales et à dépister des maladies telles que la démence et la santé mentale.

« Le problème est énorme.

Et nous (les entrepreneurs) ne pouvons éduquer qu’un petit pourcentage de la population.

Nous avons encore un long chemin à parcourir », a-t-il déclaré.

« Actuellement, nous travaillons en partenariat avec les hôpitaux publics pour détourner les patients qui se soignent eux-mêmes des hôpitaux afin que les patients malades qui ont vraiment besoin d’une attention médicale puissent être soignés plus rapidement. »

Mais il y a eu des difficultés, notamment pour obtenir l’adhésion des patients à l’utilisation d’une application non humaine pour un diagnostic médical, bien que la pandémie ait sensibilisé le public aux solutions technologiques, a déclaré M. Paphonwit.

Il a également dû s’assurer que les utilisateurs comprenaient les clauses de non-responsabilité indiquant que le dépistage en ligne ne constituait pas un diagnostic médical.

Le Dr Chai Kobkitsuksakul, radiologue travaillant dans plusieurs hôpitaux publics thaïlandais, a déclaré au journal This Week in Asia que les technologies de santé basées sur l’IA, telles que celles d’Agnos et d’Eidy, pourraient aider les médecins comme lui en préparant les premières lectures des résultats radiologiques.

Bien que les médecins humains doivent encore vérifier le travail de l’IA pour éviter les erreurs de diagnostic ou les fautes professionnelles à ce stade précoce de l’innovation, cela contribuerait à alléger la charge de travail de nombreux services de radiologie débordés.

« Les technologies de santé basées sur l’IA peuvent être des assistants essentiels pour les médecins », a-t-il déclaré.

Pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la santé

Le personnel dans un hôpital de Thaïlande vérifie les informations d’un patient. Photo : Bangkok Post

Le journal This Week in Asia a contacté le ministère thaïlandais de la Santé au sujet de la situation inquiétante dans les hôpitaux publics, mais n’a pas reçu de réponse.

L’Office national de sécurité sanitaire (NHSO), qui gère la NGC en Thaïlande, est conscient de la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur de la santé.

Selon une déclaration du NHSO publiée l’année dernière, la Thaïlande ne compte qu’entre 0,5 et 0,8 médecin pour 1 000 habitants, ce qui est inférieur à la norme de l’Organisation mondiale de la Santé qui est d’un médecin pour 1 000 habitants.

Le secrétaire général de la NHSO, Jadej Thammatacharee, a déclaré que l’agence avait mis en œuvre des mesures pour alléger la lourde charge de travail, notamment en encourageant l’autogestion de la santé parmi le public, afin de réduire les visites inutiles à l’hôpital.

L’année dernière, après l’essor de la télémédecine pendant la pandémie, le NHSO s’est associé à « Doctor at Home », une plateforme en ligne, pour aider les Thaïlandais à comprendre les problèmes de santé de base, y compris les circonstances qui justifient une visite à l’hôpital.

Le gouvernement prévoit d’étendre la gratuité des soins à huit autres provinces, aux apatrides et aux non-Thaïlandais.

Si Mme Navaporn se félicite de cette initiative, elle estime qu’une mauvaise mise en œuvre pourrait entraîner davantage de goulets d’étranglement et de stress chez les médecins et les patients.

« Le système ne cesse de changer en raison de l’instabilité politique, si bien que personne ne s’attaque sérieusement aux problèmes.

Lorsque les gens démissionnent, le fardeau retombe sur ceux qui restent et le cycle continue », a-t-elle déclaré.

En 2022, le Conseil médical de Thaïlande a décidé que les médecins ne devaient pas travailler plus de 40 heures par semaine et qu’un repos de quatre heures devait suivre une garde de 24 heures.

Cependant, peu d’hôpitaux ont appliqué ces règles et la culture du surmenage a persisté, a déclaré Mme Navaporn.

« Si nous montrons nos faiblesses et nous plaignons d’être fatigués, nos collègues nous reprocheront de nous relâcher », a-t-elle déclaré.

« La culture thaïlandaise consiste à se sacrifier pour la communauté. »

Le tourisme médical risque d’aggraver la situation du système public

Patient dans un hôpital thaïlandais. Photo : Bangkok Post

Selon Jeffrey Chi, vice-président de la société mondiale de capital-risque Vickers Venture Partners, le gouvernement thaïlandais s’est montré favorable au tourisme médical et aux investissements étrangers dans le secteur en pleine expansion des hôpitaux privés.

Si le tourisme médical pourrait stimuler l’économie thaïlandaise, il aggraverait la situation du système public, car les médecins, en particulier les plus jeunes, quittent les hôpitaux publics pour les hôpitaux privés, mieux rémunérés, selon Navaporn et Paphonwit.

Voir : La Thaïlande veut augmenter ses revenus grâce au tourisme médical et de bien-être

Néanmoins, les entrepreneurs et le secteur privé pourraient collaborer pour résoudre les problèmes du secteur de la santé publique thaïlandais au-delà de la télémédecine, a déclaré M. Chi.

Parmi les possibilités de collaboration figurent le développement de systèmes de numérisation des dossiers médicaux, d’applications et d’appareils permettant une meilleure gestion des maladies chroniques telles que le diabète et les maladies cardiovasculaires, a-t-il ajouté.

Source : SCMP