La Thaïlande n’est pas prête pour affronter les dangers posés par El Nino

D’après plusieurs experts, le phénomène El Niño mettra en évidence le manque de défense de la Thaïlande contre le changement climatique.

Bien que la saison des pluies ait commencé en Thaïlande, la menace d’une sécheresse prolongée et de pénuries d’eau plane à l’horizon en raison d’El Nino.

La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des États-Unis, qui surveille les températures de la mer dans plus de 200 endroits, prévoit qu’El Nino se prolongera au moins jusqu’en février de l’année prochaine.

Associé au réchauffement climatique, El Nino signifie que la Thaïlande doit se préparer à une saison sèche plus longue, à des journées chaudes plus fréquentes et à la sécheresse.

L’Est et le Sud de la Thaïlande seront les plus durement touchés.

Qu’est-ce qu’El Nino ?

C’est un phénomène climatique qui revient de façon irrégulière et qui dure généralement de six à 18 mois.

Tout commence par une baisse des vents sur l’océan Pacifique, qui entraîne une montée de la température de l’eau à la surface.

Ce réchauffement du plus grand océan du monde a des conséquences sur toute la planète par une sorte d’effet papillon.

El Niño entraîne généralement une augmentation globale des températures dans le monde entier, provoquant des fortes pluies en Amérique, en Asie centrale et à l’est de l’Afrique.

À l’inverse, il provoque de très graves sécheresses en Australie, Amérique centrale ou dans le sud de l’Asie.

Le pire scénario : Double El Niño

Le Dr Thon Thamrongnawasawat, doyen adjoint de la faculté de pêche de l’université Kasetsart, confirme qu’El Nino est déjà arrivé.

Sur Facebook, il explique que la saison des pluies dans les régions du Nord, du Nord-est et du Centre de la Thaïlande se déroule généralement en deux phases.

« Cette année, la première phase est déjà terminée et les précipitations ont été inférieures de 20 % à la normale.

La deuxième phase devant commencer vers la mi-août, on ne sait pas encore quelle quantité d’eau le pays sera en mesure de stocker pour la prochaine saison sèche.

Mais l’universitaire est convaincu que les contraintes d’approvisionnement en eau entraîneront une baisse des rendements agricoles pour les cultures assoiffées telles que le riz et la canne à sucre.

Voir : La sécheresse en Thaïlande menace l’approvisionnement mondial en riz et en sucre

« Les prévisions indiquent que les revenus des agriculteurs thaïlandais diminueront de 5 % », a déclaré M. Thon.

Selon le Centre d’intelligence économique (EIC) de la Siam Commercial Bank (SCB), la sécheresse provoquée par El Nino entraînera des pertes de plus de 40 milliards de bahts pour le secteur agricole thaïlandais.

Les rizières où l’on cultive le riz pour la deuxième récolte de l’année devraient être les plus touchées.

Dans le pire des cas, les dommages pourraient atteindre 63 milliards de bahts.

Les agriculteurs sont menacés

Thai Mueangthum, riziculteur de 56 ans à Khon Kaen, a continué à travailler dans ses rizières comme d’habitude malgré les avertissements concernant El Nino.

« Ce n’est pas que j’ignore les avertissements, mais je ne sais pas ce que je dois faire.

Je fais donc ce que j’ai toujours fait au cours des trois dernières décennies », a-t-il déclaré.

Le département royal de l’irrigation a libéré l’eau de ses barrages pour les rizières en avril et en mai.

Cela signifie que les rizières de la première saison de culture de cette année pourraient être épargnées par les pénuries d’eau.

Mais les agriculteurs qui plantent du riz pour la deuxième récolte risquent de voir leurs plants se dessécher sous l’effet d’El Nino.

Chaowalit Simsuay, qui dirige l’Institut de recherche et de développement de l’Université Rajabhat de Buriram, a déclaré que la plupart des agriculteurs pensaient probablement que les avertissements d’El Nino concernaient la sécheresse habituelle et qu’ils continuaient donc leurs pratiques habituelles.

Dans la province d’Uthai Thani, les réserves d’eau sont déjà basses et les agriculteurs locaux commencent à s’inquiéter.

Par exemple, l’eau dans la digue locale de Khlong Pho est tombée à une fraction de son niveau normal, avec seulement 1,06 million de mètres cubes restants à distribuer aux terres agricoles locales.

Manop Naruekhon, riziculteur à Uthai Thani, a déclaré qu’il avait investi plus de 20 000 bahts (519 euros) pour préparer et planter sa rizière de 3,04 hectares et qu’il priait maintenant pour que la pluie arrive.

« J’utilise des pompes à eau, mais il n’y a pratiquement plus d’eau à pomper », a-t-il déclaré.

Nécessité d’une approche proactive

Lors de la sécheresse en 2020, l’armée thaïlandaise avait été mobilisée pour aider les populations et forer de nouveaux puits.

Chaowalit se plaint du fait que les autorités sont trop passives dans la gestion de l’eau, car les avertissements et les conseils habituels n’aideront pas les agriculteurs cette fois-ci.

« La situation a changé.

Si le gouvernement adopte la même approche, les dégâts seront inévitables », a-t-il déclaré.

Le professeur Witsanu Attavanich, maître de conférences à la faculté d’économie de l’université Kasetsart et expert en matière de changement climatique, d’agriculture, d’environnement et de sécurité alimentaire, a déclaré qu’El Niño pouvait durer de sept à 19 mois.

« Nous ne pouvons donc pas vraiment dire si El Niño se terminera au début de l’année prochaine.

Si l’El Niño actuel est de longue durée, il pourrait nous accompagner jusqu’en 2025 », a-t-il déclaré d’un ton pessimiste.

Sur les 150 millions de rai (1 rai = 0,16 hectares) de terres agricoles que compte la Thaïlande, seuls 30 millions se trouvent dans des zones irriguées.

Par conséquent, même si le département royal de l’irrigation gère les ressources en eau pour soutenir le secteur agricole, les agriculteurs situés en dehors des zones irriguées seront pratiquement livrés à eux-mêmes.

« De nombreux agriculteurs ont creusé des puits et des étangs pour stocker l’eau en vue de l’utiliser pendant la saison sèche.

Mais avec El Nino, la saison sèche peut durer très longtemps et ils risquent de ne pas avoir assez d’eau pour cultiver leurs terres », a expliqué le professeur d’université.

M. Witsanu a déclaré que le gouvernement devrait adopter une approche proactive en éduquant et en soutenant les agriculteurs.

Il ne suffit pas d’émettre des avertissements sans donner de conseils sur ce que les agriculteurs doivent faire.

« Il sera difficile pour les agriculteurs de s’ajuster et de s’adapter par eux-mêmes.

Ils ont besoin de lignes directrices et de soutien », a déclaré M. Witsanu.

Il a également mis en garde contre l’utilisation de programmes populistes tels que les garanties de prix des récoltes ou les promesses de garantie de revenus, estimant qu’ils ne feraient qu’empêcher les agriculteurs de s’adapter à l’évolution de la situation.

« En l’absence d’ajustements appropriés, les dégâts ne feront que s’aggraver et le gouvernement finira par devoir payer davantage », a-t-il déclaré.

« Nous obtiendrons de meilleurs résultats si le gouvernement encourage les agriculteurs à s’adapter et à développer une immunité aux effets du changement climatique.

Une question qui mérite d’être inscrite à l’ordre du jour national

Photo : Earth Observatory Nasa

M. Witsanu a déclaré que les questions liées au changement climatique auraient dû être inscrites à l’ordre du jour national depuis longtemps, car elles ont un impact non seulement sur l’agriculture, mais aussi sur tous les autres secteurs.

« La santé des gens est affectée, tout comme les entreprises », a-t-il expliqué.

Selon lui, les entreprises dont les employés doivent travailler à l’extérieur devront peut-être réduire leurs heures de travail, car une exposition prolongée à des températures élevées peut entraîner des blessures et des maladies.

L’industrie du tourisme risque également de s’effondrer à mesure que les écosystèmes se dégradent sous l’effet du réchauffement de l’environnement.

Le conférencier a déclaré que si les politiques populistes peuvent rendre les politiciens populaires, elles peuvent menacer l’intérêt national.

Au lieu de cela, les agences gouvernementales doivent travailler ensemble sur cette question, a-t-il ajouté.

« Les plans de travail devraient être intégrés pour lutter contre le changement climatique.

À l’heure actuelle, les ministères travaillent encore séparément sur la gestion du changement climatique ».

Il s’est également inquiété du fait que de nombreux ministères n’accordent toujours pas la priorité aux questions liées au changement climatique.

Car les cadres, dont le mandat est généralement de deux à quatre ans, se concentrent sur des tâches susceptibles de produire des résultats tangibles plus rapidement que sur les efforts de gestion du changement climatique.

Witsanu a ajouté que la Thaïlande manque encore de recherches sur les plantes et le bétail affectés par le réchauffement climatique.

Sans ces recherches, le pays ne peut pas formuler de politiques efficaces pour gérer les effets du changement climatique.

« Il est grand temps que le gouvernement s’intéresse sérieusement au changement climatique et modifie son approche », a-t-il conclut.

Source : Thai PBS World