Kidnappings de touristes en Thaïlande : des agents de l’immigration complices ?

Une enquête de Reuters revient sur les affaires de touristes enlevés en Thaïlande pour alimenter les centres d’appels en Birmanie.

L’enquête est basée sur plusieurs mois d’entretiens avec neuf personnes d’Afrique, d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est victimes de trafic vers des centres d’escroquerie en Birmanie entre 2022 et 2025.

Des milliers de victimes, attirées par différents moyens, transitent par la Thaïlande avant d’être envoyées de force dans des camps fortifiés en Birmanie.

L’article de Reuters montre que les victimes sont repérées dès leurs arrivées en Thaïlande et ensuite guidés par plusieurs personnes qui ont des uniformes et un accès à des zones réservées aux voyageurs.

Plusieurs témoignages pointent clairement la complicité de fonctionnaires thaïlandais, notamment dans les services d’immigration.

Mise à jour au 21 septembre 2025 :

Kidnappings de touristes en Thaïlande : l’immigration accusée, elle dément

Ensuite, les victimes sont conduites des aéroports thaïlandais à la frontière birmane pour rejoindre des camps de travail forcés décrits comme des enfers sur Terre.

Une industrie criminelle en pleine expansion

Illustration montrant un centre d’appel en Birmanie situé proche de la frontière avec la Thaïlande. Dessin : Reuters

Une industrie criminelle d’arnaques en ligne s’est développée dans les zones frontalières de la Birmanie, échappant au contrôle de l’État central.

Ces centres d’appels pullulent aussi au Cambodge, avec, d’après de nombreux rapports internationaux, la complicité de l’élite au pouvoir.

Voir notre dernier article à ce sujet : Thaïlande : la hausse du baht liée à des exportations d’or vers le Cambodge

Des milliers de personnes originaires d’Afrique, d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est sont soit recrutées via de fausses offres d’emploi, attirés par des personnes rencontrées sur les réseaux sociaux, ou simplement trompées et kidnappées à leurs arrivées en Thaïlande.

Voir : Thaïlande : des touristes échappent de peu au travail forcé en Birmanie

Une fois en Birmanie, elles sont séquestrées dans des camps fortifiés gérés par des gangs chinois et protégés par des milices locales.

Leur mission : arnaquer des internautes dans le monde entier, notamment par de faux investissements financiers et si elles refusent, elles se font torturer.

La Thaïlande, porte d’entrée du trafic

Illustration montrant que les victimes des centres d’appel sont accostées dès leur arrivée aux aéroports de Thaïlande. Dessin : Reuters

L’un des éléments les plus préoccupants mis en avant par l’enquête de Reuters est le rôle de la Thaïlande comme hub de transit.

De nombreuses victimes passent par les aéroports de Bangkok.

Plusieurs diplomates étrangers affirment que cela ne serait pas possible sans la complicité de certains fonctionnaires thaïlandais, en particulier au sein de l’immigration.

Parmi les neuf personnes avec lesquelles Reuters s’est entretenu, toutes, sauf une, ont été attirées par des promesses d’emplois bien rémunérés.

Six d’entre eux ont déclaré avoir été escortés à travers les deux aéroports internationaux de Bangkok par des agents présumés de l’immigration avant d’être emmenés en voiture en Birmanie.

Lindsay Kiptiness, ambassadeur du Kenya en Thaïlande, qui a aidé à sauver des centaines de ses citoyens des centres d’escroquerie, a déclaré à Reuters qu’ils décrivaient systématiquement avoir été escortés à travers les aéroports thaïlandais par des responsables.

Kiptiness a déclaré qu’il avait fourni aux autorités thaïlandaises des informations détaillées sur les enlèvements mais qu’il n’avait reçu aucun suivi.

Un porte-parole du ministère thaïlandais des Affaires étrangères a déclaré qu’ils n’avaient reçu aucun rapport sur ces allégations, mais qu’ils étaient prêts à enquêter sur toute “information ou preuve crédible”.

Un Indonésien de 27 ans qui a voyagé en janvier via l’aéroport Don Mueang de Bangkok a déclaré que son recruteur lui avait demandé via l’application de messagerie Telegram d’envoyer une photo de sa tenue, afin que les agents d’immigration puissent le retirer de la file.

Voir aussi : Scandale en Thaïlande : 2 généraux liés aux centres d’appel birmans

Le ministère thaïlandais de l’Immigration et Airports of Thailand – la société publique qui gère les plus grands aéroports du pays – n’ont pas répondu aux demandes de commentaires de Reuters sur ces allégations selon lesquelles des fonctionnaires étaient impliqués dans la traite.

Des conditions inhumaines dans les camps fortifiés

Illustrations montrant un camp fortifié qui héberge un centre d’appel et les dortoirs des personnes kidnappées. Images Reuters

Une fois en Birmanie, les victimes sont enfermées dans des camps fortifiés tels que KK Park.

Les conditions de vie y sont qualifiées d’inhumaines :

• journées de travail interminables,
• violences physiques et menaces,
• torture pour ceux qui refusent d’obéir.

Sous la contrainte, elles doivent séduire des victimes en ligne, parfois via de fausses relations amoureuses, et les pousser à investir dans des placements frauduleux.

Voir : Comment des centres d’appels ruinent les personnes vulnérables en Thaïlande ?

La Thaïlande a dû réagir pour sauver son tourisme

Affiche du film chinois « No more bets » qui présente la Thaïlande comme la plaque tournante du trafic d’êtres humains.

Pendant des années, la Thaïlande n’a rien fait contre ces centres d’appels birmans.

Le royaume se contentait d’obtenir la libération de personnes enlevées par ces réseaux quand elles étaient mises en avant dans les médias ou sur les réseaux sociaux.

Il est clair que les responsables avaient des contacts bien établis avec les ravisseurs, qui libéraient les personnes désignées, mais on ne sait pas si une rançon était payée ou non.

Puis en août 2023, un film sur ce sujet est sorti en Chine et a connu un énorme succès en Asie, mettant à mal le tourisme thaïlandais.

Voir : Comment un film chinois instille la peur de voyager en Thaïlande

Mais le pire est arrivé pour le tourisme en Thaïlande quand un acteur chinois s’est fait enlever en janvier 2025.

Voir : Inquiétante disparition d’une star du cinéma chinois en Thaïlande

L’affaire à fait le buzz sur les réseaux sociaux chinois et a été suivi par plusieurs autres enlèvements très médiatisés, créant la peur de voyager en Thaïlande.

Voir : Un autre chinois enlevé en Thaïlande a été libéré de l’enfer des centres d’appels birmans

L’acteur et d’autres victimes ont été rapidement libérés après les demandes de la Thaïlande, mais le mal était fait.

Voir : La Thaïlande fait libérer l’acteur chinois kidnappé en Birmanie

Ensuite, face à l’importante baisse des voyageurs chinois et aux pressions de la Chine, la Thaïlande s’est enfin lancé dans la lutte contre les centres d’appels birmans.

Voir : Sous la pression de la Chine, la Thaïlande s’attaque enfin aux centres d’appels

Mais aujourd’hui encore, le tourisme est durement touché par la baisse des voyageurs chinois, due principalement à ces enlèvements.

Voir : Thaïlande : le tourisme s’écroule face à la baisse du nombre de visiteurs chinois

Le royaume s’est aussi lancé tardivement dans la lutte contre les centres d’appel au Cambodge après une rupture diplomatique avec les dirigeants cambodgiens.

Voir : Centres d’appel frauduleux : la Thaïlande met en cause l’élite cambodgienne

Une alliance toxique qui prospère

Centre d’appel birman. Illustration : Reuters

Selon l’ONU, des centaines de milliers de personnes ont été piégées dans ces centres depuis 2020.

Le système prospère grâce à une alliance entre groupes criminels transnationaux, milices locales armées et fonctionnaires corrompus.

Malgré quelques opérations internationales, les réseaux restent très actifs.

Voir : Thaïlande : nouveau kidnapping de Chinois par les centres d’appel birmans

Pour la Thaïlande, comme les aéroports sont truffés de caméras, il ne serait pas difficile de trouver et d’arrêter les complices de ce trafic, si les autorités en avaient la volonté…

Nous vous conseillons vivement de découvrir l’article très détaillé de Reuters accompagné de nombreuses illustrations, qui décrit l’enfer vécu par les victimes de ces centres d’appels (en anglais).

Voir aussi :

La Thaïlande a paralysé les centres d’appels criminels en Birmanie

Thaïlande : 7 000 victimes libérées de l’enfer des centres d’appel birmans

Thaïlande : des peines durcies contre les complices des centres d’appel frauduleux

Thaïlande – Cambodge : les civils sacrifiés pour protéger les centres d’appels ?

Horreur des centres d’appels au Cambodge : kidnapping, torture, viol