L’industrie thaïlandaise de l’escroquerie en ligne cible désormais les Américains

Comment les gangs d’escrocs en ligne chinois se développent en Thaïlande ou dans les pays voisins et ciblent maintenant les Américains.

Narin, un jeune homme de 20 ans originaire du nord de la Thaïlande et qui a travaillé pour un centre d’appel, explique :

« Les gangs chinois m’ont appris à rendre mon profil crédible, à gagner des adeptes et à publier régulièrement.

Après avoir terminé ma formation, j’ai commencé à identifier mes victimes sur des plateformes de médias sociaux comme Facebook, Instagram et Line. »

Il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais d’une tendance inquiétante.

La Thaïlande est le pays d’Asie qui compte le plus grand nombre d’appels et de SMS frauduleux, avec 78,8 millions d’incidents signalés depuis l’année dernière, selon le Bureau du Conseil national de développement économique et social du pays.

Voir : La Thaïlande est le pays d’Asie qui reçoit le plus de SMS et d’appels frauduleux

Aujourd’hui, les gangs, souvent dirigés par des cerveaux chinois, s’étendent aux États-Unis et semblent prendre au piège de plus en plus d’Américains.

En 2023, les autorités américaines ont lancé un avertissement sévère concernant le danger croissant de voir des Américains victimes de la traite des êtres humains dans des réseaux d’escroquerie en Asie du Sud-Est.

Voir : Plus de 220 000 personnes auraient été kidnappées par des gangs en Asie du Sud-Est

La gravité de la situation est devenue évidente en décembre 2023, lorsque le ministère de la Justice a annoncé l’inculpation de quatre personnes basées aux États-Unis.

Ces personnes sont accusées d’avoir blanchi plus de 80 millions de dollars de bénéfices provenant d’opérations d’escroquerie.

Pour mettre en garde les autres, Narin, un ancien escroc, a raconté au journal Newsweek son voyage dans les bas-fonds de la cybercriminalité.

En Thaïlande, il a voyagé de Chiang Mai à Chiang Rai avant de traverser la frontière pour se rendre à Tachileik, au Myanmar.

De là, il a été transporté à Laukkai, une ville frontalière birmane (Myanmar) connue pour ses escroqueries dans les centres d’appel.

Recruté par des amis d’amis, il leur a fait confiance parce qu’il avait désespérément besoin d’argent.

Mais une fois en Birmanie, il s’est rapidement rendu compte de la véritable nature de l’opération.

Craignant pour sa sécurité, Narin s’est senti pris au piège et n’a pas pu partir.

Arnaques à la romance

Femme dans un centre d’appels.

Son rôle dans l’escroquerie consistait à identifier les victimes en ligne et à les inciter à transférer de l’argent, qui était ensuite acheminé par le réseau de l’opération.

Souvent, Narin se faisait passer pour un agent de Shopee ou de Lazada, les géants du commerce électronique d’Asie du Sud-Est, afin de tromper ses cibles.

Cette tactique fait partie de ce que la police thaïlandaise appelle les « romance scams », dans lesquels les criminels utilisent de fausses identités en ligne pour gagner l’affection d’une victime avant de l’exploiter financièrement.

Thatchai Pitaneelaboot, commissaire général adjoint de la police royale thaïlandaise, a déclaré :

« Ils essaient de vous faire croire que vous tombez amoureux d’eux.

Ils utilisent des photos attrayantes et disent des choses pour vous mettre en confiance.

Finalement, ils vous invitent à investir dans quelque chose ».

Ces escroqueries à l’investissement visent à convaincre les gens d’investir dans divers projets.

Voir aussi : La police thaïlandaise traque les escrocs responsables d’un terrible drame familiale

Narin précise que les principales victimes de ces escroqueries sont les personnes âgées de plus de 30 ans.

D’autres escroqueries ciblent souvent les femmes, en particulier celles qui font souvent des achats en ligne, et les jeunes adultes entre 20 et 25 ans.

« Alors que les jeunes victimes peuvent s’en sortir financièrement, les victimes âgées sont souvent confrontées à des pertes dévastatrices qui peuvent mettre en péril leur sécurité et leur bien-être », a déclaré Jessada Burinsuchat, experte en cybersécurité.

« Ces cas, bien que moins fréquents, attirent l’attention des médias en raison de leurs graves conséquences. »

L’une de ces victimes, Buggan, une femme de 60 ans, a été la proie d’une escroquerie méticuleusement orchestrée qui a duré plus d’un an et demi, l’une des plus longues escroqueries à la romance.

(Les noms complets de la victime et de l’auteur de l’escroquerie n’ont pas été révélés pour des raisons de sécurité).

Après avoir rencontré l’escroc sur Facebook en 2018, elle a été entraînée dans une histoire montée de toutes pièces concernant un projet d’oléoduc lucratif en Malaisie.

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L’escroc lui a promis un versement d’un million de dollars si elle couvrait une taxe de transfert transfrontalier de 5,5 millions de bahts (163 642 dollars).

Un complice, se faisant passer pour un représentant thaïlandais de la Banque mondiale, a encore accentué la tromperie.

Confiant dans ce stratagème élaboré, Buggan a transféré l’argent en décembre 2019.

L’escroc est resté en contact pendant un mois avant de disparaître, et ce n’est qu’en janvier 2020 qu’elle s’est rendu compte de la vérité et a signalé le crime.

Des cerveaux chinois

Des officiers de police thaïlandais et cambodgiens de haut rang participent à une réunion conjointe le 28 août 2024. Photo : Police royale thaïlandaise.

Face à ce problème croissant, les autorités thaïlandaises et cambodgiennes ont intensifié leurs efforts pour lutter contre les syndicats de fraudeurs des centres d’appel.

Les plus grands centres d’appels sont installés en Birmanie et au Cambodge.

En Birmanie, de nombreux centres ont été fermés par les rebelles, mais au Cambodge, la situation est plus compliquée, car des personnes très haut placées dans le gouvernement, sont impliquées.

Voir : L’industrie de la cyber-escroquerie se développe au vu et au su de tous au Cambodge

La semaine dernière, M. Pitaneelaboot, qui est directeur adjoint de la Police Cyber Task Force de Thaïlande, a participé à une opération conjointe avec des fonctionnaires cambodgiens.

Pitaneelaboot, qui a passé trois ans à lutter contre la cybercriminalité, supervise les opérations liées au cyberespace dans toute la Thaïlande.

Il a déclaré :

« Le nombre de cybercrimes augmente parce qu’il est plus facile et plus sûr que la criminalité de rue d’obtenir de l’argent d’autres personnes.

L’expansion des réseaux sociaux est un autre facteur qui facilite l’escroquerie. »

Ces opérations criminelles, souvent menées par des cerveaux chinois en collaboration avec des complices thaïlandais, se déplacent de plus en plus vers les pays voisins, comme le Cambodge, pour échapper aux forces de l’ordre thaïlandaises.

« Il y a une faille dans l’application de la loi puisque les escrocs restent dans un autre pays le long de la frontière.

Il n’est pas facile de les ramener en Thaïlande pour les punir », a ajouté M. Pitaneelaboot.

Les autorités thaïlandaises ciblent les signaux téléphoniques que ces gangs utilisent pour contacter leurs victimes en Thaïlande.

Voir aussi : La Thaïlande coupe les connexions d’un centre d’appels d’escroc au Myanmar

Elles s’attachent à perturber les connexions fournies par les opérateurs de réseaux de télécommunications et de téléphonie mobile, ainsi que par les entreprises privées thaïlandaises qui proposent des services internet.

Elles examinent également de près les médias sociaux tels que Facebook et Google, en particulier si ces plateformes gagnent de l’argent grâce à des publicités provenant d’entreprises criminelles.

« Il est possible que nous appliquions la loi à leur encontre également », a déclaré M. Pitaneelaboot, en faisant référence aux projets d’arrestation d’opérateurs et d’enquête sur les banques qui facilitent les transactions frauduleuses.

À ce jour, les autorités thaïlandaises ont émis 165 mandats d’arrêt à l’encontre de membres de gangs au Cambodge, la police cambodgienne s’efforçant d’obtenir l’approbation des tribunaux du pays.

« Nous attendons actuellement la décision du tribunal et espérons que le tribunal cambodgien délivrera bientôt les mandats », a déclaré M. Pitaneelaboot.

Après avoir été secouru par les rebelles qui ont pris le contrôle du nord de la Birmanie et libéré les personnes détenues dans les centres d’appels, Narin a été ramené en Thaïlande.

Voir : La junte birmane survit grâce au soutien de pays comme la Thaïlande

Il est ensuite passé par le mécanisme national d’orientation du pays pour l’identification des victimes.

Cependant, il n’a pas été classé comme victime de la traite des êtres humains, ce qui laisse penser que les autorités l’ont considéré comme ayant participé volontairement à l’escroquerie dès le départ.

Taiyawat Vivatkiat, un responsable de l’enquête au Bureau de l’immigration, a déclaré :

« Les escrocs connaissent bien les nuances juridiques et exploitent souvent les lois sur la traite des êtres humains pour échapper aux accusations d’escroquerie.

Par conséquent, le processus d’identification des victimes doit être mené méticuleusement afin de protéger les vraies victimes et de filtrer les escrocs qui tentent d’exploiter les lois. »

Les géants des médias sociaux sous le feu des critiques

Arnaque sur Facebook. Photo : Techtography

M. Pitaneelaboot a souligné un aspect troublant de ces escroqueries : la complicité, ou du moins la négligence, des médias sociaux tels que Facebook et Google.

Les criminels utilisent de faux profils et des pages d’usurpation d’identité pour tromper les victimes, et malgré des notifications répétées, les réponses des plateformes ont été inadéquates.

Des plateformes telles que Line, une application de messagerie populaire, sont également utilisées par les criminels pour effectuer des transactions, mais elles ne fournissent pas d’informations utiles et ne prennent pas de mesures à l’encontre des fraudeurs.

« Nous avons envoyé des documents à Facebook et à Google, mais leurs réponses ont été insuffisantes », a déclaré M. Pitaneelaboot.

« Nous espérons qu’ils réviseront leur politique.

Si nécessaire, nous pourrions émettre des mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants d’entreprises comme Line.

Le journal Newsweek a contacté Google et Meta, la société mère de Facebook, pour obtenir des commentaires par courriel mercredi.

M. Pitaneelaboot a conseillé au public de rester vigilant, en particulier lorsqu’il s’agit d’annonces sponsorisées, qui sont souvent utilisées par les escrocs alors que les pages légitimes ne le sont généralement pas.

« Je pense que l’expansion de ces gangs se fera dans le monde entier.

Ces gangs peuvent générer des sommes d’argent considérables.

En fait, les gains financiers de ces opérations criminelles pourraient même dépasser ceux du commerce de la drogue », a-t-il déclaré.

Nous avons besoin d’une coopération plus forte avec les États-Unis

Le 9 juillet, la police thaïlandaise a ciblé des lieux où se trouvaient des équipements de distribution de signaux de boîtes SIM utilisés par un centre d’appel. Photo : Police royale thaïlandaise.

Burinsuchat, surintendant de l’unité d’enquête sur la cybersécurité de la police royale thaïlandaise, a constaté une augmentation du nombre de cas signalés, dont beaucoup concernent des fuites de données personnelles.

Selon lui, même une protection involontaire de la part d’entreprises américaines et européennes peut permettre à des réseaux criminels de se développer.

« Les lois sur la protection de la vie privée, les garanties en matière de droits de l’homme et les technologies telles que Cloudflare protègent souvent ces opérations d’un examen minutieux », a déclaré M. Burinsuchat.

Malgré les efforts déployés pour lutter contre ces réseaux, les réprimer reste une tâche redoutable.

Les opérations sont complexes, avec des niveaux de gestion, des centres d’escroquerie et des systèmes de blanchiment d’argent.

Même lorsque les autorités parviennent à arrêter des personnages clés, des remplaçants comblent rapidement le vide.

Les cerveaux opèrent souvent à partir de pays voisins, ce qui complique la tâche des autorités thaïlandaises.

Cela limite de nombreuses enquêtes à des acteurs plus petits, tels que les convertisseurs d’actifs et les détenteurs de comptes.

L’arrestation d’un chef de syndicat chinois, grâce à une forte coopération du secteur privé, a été une rare réussite.

Les autorités ont remonté le réseau jusqu’à cette personne et ont récupéré des actifs d’une valeur d’environ un milliard de bahts.

M. Burinsuchat insiste sur la nécessité pour les grandes entreprises technologiques d’intensifier leurs efforts pour protéger les personnes vulnérables dans les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE).

« Nous avons besoin d’une coopération internationale plus forte avec les agences des États-Unis, de la Chine et des entreprises technologiques pour identifier et démanteler ces centres d’escroquerie », a-t-il déclaré.

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Source : Newsweek