Thaïlande : fin de règne pour Thaksin ? Le Pheu Thai au bord du gouffre

Le Pheu Thai pourrait être confronté à un effondrement électoral à la suite des nouveaux revers judiciaires subis par Thaksin Shinawatra.

Depuis son retour en Thaïlande en août 2023 après 15 ans d’auto-exil, la victoire de son parti aux élections et la réduction de sa peine de prison de huit ans à un an, purgée dans un hôpital VIP de la police, l’ancien Premier ministre semblait avoir retrouvé toute son influence.

Mais en quelques mois, tout s’est écroulé.

Retour en prison, risque d’allongement de peine et facture fiscale

L’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, est transféré de la prison provisoire de Bangkok à la prison centrale de Klong Prem, le mardi 9 septembre 2025. Photo : Thai PBS World

Thaksin a été remis en prison le mardi 9 septembre, le procureur général a décidé de faire appel de son acquittement dans une affaire de lèse-majesté et une décision de la Cour suprême lui ordonne de payer 17 milliards de bahts d’impôts impayés.

Ces deux derniers revers judiciaires pourraient lui valoir une peine de prison plus longue et assombrissent les perspectives de l’ancien parti au pouvoir pour les élections générales prévues fin mars.

Largement considéré comme le patriarche et le leader de facto du Pheu Thai, Thaksin purge actuellement une peine d’un an de prison prononcée début septembre par la division pénale de la Cour suprême pour les titulaires de fonctions politiques.

La cour a jugé que le transfert de Thaksin à l’hôpital général de la police en 2023 pour y purger sa peine était illégal et ne comptait donc pas comme temps passé en prison.

Ce revers juridique pour Thaksin est survenu quelques jours seulement après que sa fille, Paetongtarn Shinawatra, ait été démise de ses fonctions de Première ministre par la Cour constitutionnelle à la suite de la divulgation d’un appel téléphonique avec l’homme fort cambodgien Hun Sen.

La Cour l’a reconnue coupable de faute éthique pour avoir tenté d’apaiser Hun Sen et critiqué un commandant militaire thaïlandais chargé de la frontière lors d’un différend avec le Cambodge.

Le scandale téléphonique et la gestion du conflit frontalier par le gouvernement dirigé par le Pheu Thai ont sapé la popularité du parti, en particulier parmi les électeurs du nord-est, son bastion traditionnel.

Le Pheu Thai a obtenu de mauvais résultats dans le nord-est et dans d’autres régions du pays lors des récents sondages d’opinion.

Contre-attaque politique : le Pheu Thai vise la destitution du Premier ministre

Photo datant de 2024 montrant l’actuel Premier ministre, alors vice-Premier ministre, Anutin Charnvirakul, en compagnie de l’ex-leader du Pheu Thai Paetongtarn Shinawatra et de son père, Thaksin Shinawatra, lors d’une soirée karaoké.
Photo : compte Instagram de Maynatchira.

Le professeur associé Olarn Thinbangtieo, vice-doyen de la faculté de sciences politiques et de droit de l’université de Burapha, a déclaré :

« Les derniers revers judiciaires de Thaksin ont immédiatement affecté la confiance du peuple dans le Pheu Thai, car il est la figure centrale et le leader spirituel du parti. »

Il estime que le verdict fiscal, en particulier, a sérieusement entamé la crédibilité de Thaksin.

L’analyste a déclaré que le Pheu Thai risquait désormais de perdre des dizaines de sièges lors des prochaines élections, prédisant que le nombre total de ses députés pourrait passer de 141 actuellement à entre 50 et 60 dans le pire des cas.

Avec son pouvoir de négociation qui diminue rapidement sous les coups de la justice, le Pheu Thai sera contraint de se battre pour sa survie, a déclaré Olarn.

Il estime que le deuxième parti d’opposition mobilise actuellement un débat de censure afin de destituer le Premier ministre Anutin Charnvirakul le plus rapidement possible.

Une fois Anutin destitué, le Pheu Thai pourrait revenir au pouvoir et retrouver sa popularité au cours de l’année restante de la législature, qui s’étend jusqu’en 2027.

« Thaksin doit jouer ce jeu.

C’est le seul moyen pour lui de reprendre rapidement le pouvoir.

Je pense que le Pheu Thai déposera une motion de censure (contre Anutin) », a déclaré M. Olarn.

Anutin a récemment menacé de dissoudre la Chambre si une motion de censure était déposée contre son gouvernement lors de la reprise des travaux parlementaires le 12 décembre.

Il a fait valoir que le fait de convoquer un débat de défiance équivaudrait à une trahison politique, car il a déjà accepté de dissoudre la Chambre d’ici la fin janvier dans le cadre d’un accord conclu avec le principal parti d’opposition, le Parti du peuple.

Le Premier ministre souhaite clairement éviter un vote de défiance préjudiciable, qui aurait lieu si le Pheu Thai et le Parti du peuple s’unissaient contre son gouvernement minoritaire.

Toute dissolution de la Chambre doit avoir lieu avant le dépôt d’une motion de défiance, car la Constitution interdit la dissolution une fois qu’une telle motion a été soumise.

Le Pheu Thai « en plein désarroi »

Les anciens Premiers ministres Srettha Thavisin, à gauche, et Paetongtarn Shinawatra après la victoire de leur parti le Pheu Thai en 2023. Photo : Parti Pheu Thai

Selon les analystes, le double casse-tête juridique auquel est confronté Thaksin pourrait sérieusement entamer la popularité et les finances du Pheu Thai avant les prochaines élections générales.

Suranand Vejjajiva, ancien membre du Pheu Thai devenu commentateur politique, estime que les derniers revers judiciaires du patriarche du parti sont susceptibles d’affaiblir son influence politique et sa crédibilité, ce qui entraînerait des défections parmi les députés du Pheu Thai.

Il ajoute que les rebelles potentiels trouveront plus facile de quitter le parti maintenant que Thaksin a les mains liées par des affaires judiciaires.

« La situation actuelle va plonger le parti dans le désarroi », prédit Suranand, qui a servi dans les gouvernements dirigés par Thaksin et sa sœur, Yingluck.

Le professeur associé Yutthaporn Issarachai, politologue à l’université ouverte Sukhothai Thammathirat, a reconnu que les nouveaux problèmes judiciaires de Thaksin affaibliraient la confiance de nombreux politiciens du Pheu Thai dans les perspectives électorales du parti.

Selon lui, cette perte de confiance pourrait à son tour provoquer des défections massives parmi les députés du parti.

« Les deux nouveaux problèmes judiciaires de Thaksin risquent d’avoir de graves répercussions sur le Pheu Thai.

La destitution de Thaksin, considéré comme le principal négociateur politique du Pheu Thai en coulisses, mettrait le parti dans une position désavantageuse lors des élections et dans la lutte post-électorale pour former un nouveau gouvernement de coalition.

En l’absence d’un candidat solide pour reprendre le rôle de Thaksin en tant que faiseur de rois du parti, la popularité et le pouvoir de négociation du Pheu Thai en pâtiront inévitablement », a déclaré l’analyste.

Double problème

Statue de femme symbolisant la justice, tenant une balance, posée à côté d’un marteau de juge.

Le 17 novembre, le nouveau procureur général Itthiphon Kaewthip a ordonné aux procureurs de faire appel de l’acquittement de Thaksin dans une affaire de diffamation royale résultant d’une interview qu’il avait accordée à des médias sud-coréens en 2015.

La Cour pénale avait auparavant rejeté l’affaire le 22 août, jugeant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer que Thaksin avait insulté la monarchie, un délit passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.

La décision d’Itthiphon contredit l’avis rendu par un comité de 11 membres du bureau du procureur général, qui avait voté à 8 voix contre 2 en septembre pour ne pas faire appel.

Le procureur général, qui présidait le comité alors qu’il occupait le poste de procureur général adjoint, se serait abstenu de voter.

Quelques heures seulement après la publication de l’ordonnance d’appel, la Cour suprême a rendu une décision distincte concernant Thaksin.

Elle l’a condamné à payer une facture fiscale de 17,6 milliards de bahts liée à la vente par sa famille, en 2006, d’actions de Shin Corporation (rebaptisée Intouch Holdings en 2014) d’une valeur de 73,2 milliards de bahts à la société singapourienne Temasek.

Le verdict a infirmé les décisions des tribunaux inférieurs en faveur de l’ancien Premier ministre, qui avait poursuivi le ministère du Revenu en justice pour obtenir l’annulation de son avis d’imposition « illégal ».

Le procès intenté par Thaksin invoquait un détail technique, soulignant que le ministère du Revenu n’avait pas suivi la procédure légale nécessaire consistant à le convoquer pour qu’il prenne connaissance de l’avis d’imposition avant de lui envoyer une notification.

Le tribunal a estimé que Thaksin avait dissimulé sa participation dans Shin Corp, en transférant ses actions à ses enfants, Panthongtae et Pintongta, afin qu’ils les détiennent en son nom, car la loi interdit à un ministre du gouvernement de détenir des actions dans une société privée.

Le tribunal a jugé que l’action de Thaksin constituait un « manquement à l’éthique fiscale et une transaction illégale grave » qui violait l’esprit de la fiscalité.

Victime ou mauvais karma ?

L’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen pose pour une photo lors de sa rencontre avec l’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra à Bangkok en Thaïlande. Photo publiée le 21 février 2024 par Hun Sen sur son compte Facebook

Les partisans de Thaksin, menés par ses enfants, ses conseillers juridiques et les politiciens du Pheu Thai, affirment qu’il est victime d’une injustice de la part d’une élite au pouvoir.

D’autres affirment que ses derniers revers juridiques ne sont que le « karma » de ses méfaits commis pendant son mandat de Premier ministre, de 2001 à 2006.

Theptai Seanapong, ancien député démocrate, a déclaré dans un récent message Facebook que certains politiciens du Pheu Thai semblent présenter Thaksin comme une victime afin de susciter la sympathie pour lui et son parti parmi ses partisans inconditionnels, les chemises rouges.

Cependant, cette base de soutien autrefois fiable s’est désormais affaiblie, ce qui signifie que cette stratégie a peu de chances de renforcer significativement la popularité du Pheu Thai lors des prochaines élections, a conclu Olarn.

Voir aussi :

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Source : Thai PBS World