Thaïlande : plus de 45 000 centenaires recensés, mais un avenir incertain

Plus de 45 000 Thaïlandais ont dépassé les 100 ans, mais l’effritement du modèle familial et l’absence de filet social solide font craindre une crise.

Le pays se classe au cinquième rang mondial pour sa population centenaire, après le Japon, les États-Unis, la Chine et l’Inde.

Cela témoigne de l’amélioration des soins de santé, d’une meilleure alimentation et d’une sensibilisation accrue du public au vieillissement en bonne santé.

Mais derrière ces statistiques positives se cache un dilemme social croissant.

Si les centenaires d’aujourd’hui s’épanouissent grâce aux familles élargies traditionnelles, les générations futures sont confrontées à l’isolement et à l’insécurité financière.

Selon le professeur adjoint Nattapat Sarobol de la faculté d’administration sociale de l’université Thammasat, le principal sujet de préoccupation est le fossé grandissant entre l’expérience vécue par la génération la plus âgée et la réalité démographique qui attend leurs enfants.

« Cela nous amène à nous interroger sur la manière dont les centenaires de demain pourront vivre seuls », a-t-elle déclaré.

Cette évolution incite à une réévaluation nationale des mécanismes de retraite, d’autonomie et de protection sociale.

Le soutien familial s’estompe

Famille thaïlandaise. Photo : Aphiluck Puangkaew – UNICEF

Son équipe a mené une étude auprès de 101 centenaires afin d’examiner leurs conditions de vie, leurs modes de vie et leurs sources de bonheur.

L’étude a révélé que le fait d’être entouré par sa famille était un facteur clé de leur longévité.

« La plupart des centenaires ont décrit leur bonheur comme provenant de plaisirs simples : passer du temps avec leurs enfants et petits-enfants, vivre dans des maisons modestes mais confortables et se sentir utiles à leur communauté.

Il est important de noter que le sentiment de fierté était un thème récurrent : les participants appréciaient de pouvoir prendre soin d’eux-mêmes et contribuer à la société, même de manière modeste », a-t-elle déclaré.

Elle a toutefois averti que les solides systèmes de soutien familial pourraient ne pas durer longtemps.

« Les familles thaïlandaises sont en train de changer », a-t-elle déclaré.

« Alors qu’autrefois les gens vivaient ensemble et se soutenaient mutuellement, nous assistons aujourd’hui à une isolation croissante.

La question est la suivante : comment les futures générations de centenaires vivront-elles lorsque le soutien familial diminuera ? »

Les implications vont au-delà du bien-être émotionnel.

Sans le soutien de leur famille, les seniors pourraient avoir des difficultés à accomplir les tâches quotidiennes de base, qu’il s’agisse de cuisiner, de faire le ménage, d’accéder aux soins de santé ou de gérer leurs finances.

Cela pourrait entraîner une dépendance accrue vis-à-vis des services publics, qui sont déjà sous pression.

Des structures en mutation

Personne âgée avec un enfant dans un hôpital en Thaïlande. Photo : Bangkok Post

Les recherches brossent un tableau sombre de ce qui nous attend.

Le nombre de centenaires au Japon devrait bientôt dépasser les 100 000, et la Thaïlande suit une trajectoire similaire, a-t-elle déclaré.

Les enfants nés après 2016 devraient vivre jusqu’à 80 ou 90 ans, et beaucoup d’entre eux atteindront 100 ans.

Pourtant, les conditions sociales qui soutiennent les aînés s’effritent rapidement.

Les personnes âgées thaïlandaises ont souvent compté sur des familles nombreuses pour les prendre en charge.

Aujourd’hui, la réduction de la taille des familles et la baisse du taux de natalité font que de nombreuses personnes âgées n’ont plus d’enfants sur qui compter.

Voir : Le taux de natalité de la Thaïlande a chuté de 81 % en 74 ans

« L’étude montre que nos centenaires n’ont généralement ni dettes ni économies », a-t-elle déclaré.

« Ils ont survécu non pas grâce à une planification financière, mais grâce au soutien de leur famille.

Ce système est en train de s’effondrer. »

Elle a ajouté que le modèle de vie traditionnel – 20 ans d’études, 40 ans de travail et 15 ans de retraite — est désormais obsolète.

L’espérance de vie moderne a fait passer ce modèle à 20-40-30, ce qui signifie que les gens peuvent vivre 30 ans ou plus après leur retraite, et dans de nombreux cas jusqu’à 40 ans.

Cette durée de vie plus longue a suscité des débats sur le report de l’âge de la retraite.

Mais comme l’a déclaré le professeur adjoint Nattapat, la question dépasse le cadre économique.

« Il ne s’agit pas seulement d’argent ou de maintenir les gens plus longtemps en activité », a-t-elle déclaré.

« Il s’agit de redéfinir ce que signifie la vie après 60 ans.

Nous devons encourager les gens à rester actifs, compétents et autonomes aussi longtemps que possible. »

Le poids économique

Personne âgée en Thaïlande. Photo : Pierre To

Nonarit Bisonyabut, chercheur principal à l’Institut thaïlandais de recherche sur le développement (TDRI), a déclaré que ce phénomène s’inscrivait dans une tendance mondiale.

« Les progrès de la médecine ont permis aux gens de vivre plus longtemps, mais avec la baisse de la natalité, la proportion de personnes âgées augmente rapidement », a-t-il déclaré.

« Cela crée ce que j’appelle le « fossé du fardeau » : moins de personnes en âge de travailler soutiennent davantage de personnes âgées dépendantes. »

Il a ajouté que, par le passé, plusieurs frères et sœurs se partageaient la responsabilité de s’occuper de leurs parents vieillissants.

« Aujourd’hui, un enfant peut devoir s’occuper à la fois de ses parents et même de ses beaux-parents, soit quatre personnes au total », a-t-il déclaré.

« Cela représente une lourde charge financière et émotionnelle. »

Un nombre inquiétant de personnes âgées vivent déjà seules.

Des millions de foyers thaïlandais sont désormais composés uniquement de personnes âgées sans aucun parent plus jeune pour les aider.

Pour ces personnes, le risque de pauvreté, de solitude et de problèmes de santé augmente considérablement.

M. Nonarit a également averti que si le report de l’âge de la retraite pouvait alléger la pression, il ne pouvait pas tout résoudre.

« La solution ne consiste pas simplement à repousser l’âge de la retraite, mais à mettre en place des politiques qui aident les personnes âgées à travailler aussi longtemps qu’elles le souhaitent et qu’elles en sont capables », a-t-il déclaré.

« Nous devons trouver des emplois adaptés à l’expérience et aux capacités physiques des travailleurs âgés. »

Il a ajouté que l’augmentation de l’endettement des ménages et les priorités concurrentes du gouvernement aggravaient le problème.

« Le budget de l’État est déjà très serré, puisqu’il doit couvrir les infrastructures, la défense, l’éducation et les soins de santé.

Il n’y a tout simplement pas assez de ressources pour garantir une protection sociale complète à tous les citoyens âgés », a-t-il déclaré.

Se préparer pour l’avenir

Un groupe de personnes âgées fait de l’exercice dans un parc de Bangkok. Photo : Weerawong Wongpreedee

Selon le Département de l’administration provinciale, la Thaïlande compte aujourd’hui environ 45 561 personnes âgées de plus de 100 ans, soit une forte augmentation par rapport aux 36 402 recensées un an plus tôt.

Cette augmentation rapide souligne la transformation de la Thaïlande en l’un des pays les plus longévifs au monde, mais met également en évidence un défi croissant en matière de protection sociale.

Les experts avertissent que si la tendance actuelle se poursuit, la Thaïlande pourrait bientôt ressembler au Japon, où les personnes âgées vivent souvent seules et meurent dans l’indifférence générale.

Cependant, la Thaïlande est confrontée à un risque encore plus grand : si les personnes âgées japonaises peuvent manquer de compagnie, elles bénéficient généralement d’une sécurité financière.

Les citoyens âgés thaïlandais peuvent être confrontés à la fois à la solitude et à la pauvreté.

« Le Japon a environ 30 ans d’avance sur nous dans cette trajectoire de vieillissement », a déclaré M. Nonarit.

« Nous allons dans la même direction, mais avec moins de filets de sécurité. »

Les deux chercheurs ont souligné la nécessité de mettre en place des systèmes de soins de longue durée qui combinent le soutien de la famille, de la communauté et du gouvernement.

Ils souhaitent également que des politiques soient mises en place pour permettre aux retraités de rester économiquement actifs, par exemple grâce à des horaires flexibles et à des incitations pour les entreprises à les embaucher et à les former.

« Le vieillissement actif devrait devenir la nouvelle norme », a déclaré le professeur adjoint Nattapat.

« Même si l’on vit jusqu’à 80 ou 100 ans, l’objectif n’est pas seulement de vivre plus longtemps, mais de vivre mieux.

La société doit s’adapter pour que les personnes âgées restent actives, valorisées et autonomes. »

Voir aussi :

De plus en plus de personnes âgées thaïlandaises luttent pour survivre

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Source : Bangkok Post